Tentant de toutes ses forces d’écarter le couvercle du petit coffre de
basalte qu’il avait si longtemps préservé, réservant cet ultime recours pour le
moment où il en aurait réellement besoin, Wayland McKeen hurla de rage.
En cet instant de panique il lui semblait voir sa vie défiler à toute
allure devant ses yeux, en parallèle avec l’image de la boîte sur laquelle ses
forces et son attention étaient fixées. L’arme absolue se trouvait dans ce
coffret, d’après ce que les tablettes gravées lui avaient appris, et cette
boîte idiote choisissait justement ce moment pour lui résister.
Wayland McKeen s’était lui-même surnommé « le dinosaure ».
Wayland McKeen avait été le seul survivant de notre monde, la civilisation
telle que nous la connaissons l’avait laissé pour mort, livré à lui-même dans
le désert aride d’une Terre post-apocalyptique. Quoique d’apocalypse il n’y ait
réellement point eu, du moins pas au sens où on l’entendait… Wayland pensait
souvent à sa famille, à son épouse et à ses deux enfants. Il se remémorait
leurs visages, il les revoyait dans la lumière de sa mémoire, de purs clichés,
comme dans ces films à l’eau de rose qu’il méprisait tant à l’époque : sa
femme, blonde et éthérée, ses longs cheveux flottant dans une douce brise, lui
souriait au cœur d’un rayon de soleil qui la nimbait d’or pâle telle une
nymphette de David Hamilton, tandis que ses petits venaient tendrement se jeter
dans ses bras et qu’il les faisait virevolter dans l’air printanier, sous une
douce neige de fleurs d’amandier, leur rire cristallin s’élevant dans le bleu
d’un ciel sans nuages. Toute sa vie passée s’était résumée à une unique pensée,
à un but singulier : les protéger, assurer leur survie dans une société de
plus en plus hostile qu’il regardait avec angoisse se dégrader davantage chaque
jour.
C’est pour cette raison que lorsque l’armée avait annoncé qu’elle
cherchait des cobayes pour « L’Expérience Kentrosaure » — une
manipulation génétique visant à modifier l’organisme afin de le rendre plus
résistant aux coups, aux blessures à l’arme blanche, aux blessures à l’arme à
feu, au vieillissement et aux poisons, Wayland s’était porté volontaire. Il
avait pourtant une sainte horreur des manipulations génétiques et des
expériences visant soi-disant à améliorer la condition humaine, mais qui en
réalité servaient à exploiter les masses populaires, à augmenter leur folie et
leur dépendance, et à renflouer les caisses des états et de certains de leurs
dirigeants. Il se souvenait encore de ce jour d’été de 1957 où, encore
adolescent, prenant une pause au milieu de sa journée de travail dans la ferme
de son père qu’il aidait pendant les vacances, il était tombé sur un article
annonçant que l’on avait réussi à faire vivre une cellule zombie : selon
l’article, des scientifiques avaient récupéré une cellule organique morte et
l’avaient traitée, avec notamment une solution à base de silice, de manière à
ce que, tout en restant en l’état, elle continue à assurer les fonctions
qu’elle effectuait de son vivant. « Pourquoi ? » s’était-il
demandé. « Pourquoi s’escrime-t-on à faire revivre une cellule morte alors
que nous disposons des moyens de faire survivre une cellule
vivante ? » Il n’avait pourtant pas été vraiment surpris car en tant
que mordu de science-fiction, les expériences étranges, les découvertes
improbables et les vies extra-terrestres lui semblaient du domaine du probable.
Pour la cellule zombie, il avait été question d’une supercherie et de nombreux
journalistes de la presse dite underground s’étaient posé la question :
était-ce vrai ? Si c’était vrai, pourquoi n’en parlait-on pas aux
infos ? Et nombre de questionnements qui n’avaient jamais vraiment trouvé
de réponse. Wayland ne s’était pas posé la question longtemps, pour lui, dans
l’esprit des puissants, tout ce qui favorisait l’ignominie et le néant, la
dégradation, l’aliénation et l’exploitation – imaginez des ouvriers morts mais
vivants qui travailleraient gratuitement, ne se plaindraient pas, seraient
remplacés comme des pièces automobiles – était du domaine du possible.
Mais d’un autre côté, si ces procédés pouvaient l’aider lui à protéger
ceux qu’il aimait, il était prêt à tenter le coup pour ce qu’on appelait donc
l’Expérience Kentrosaure.
Il n’était rien ressorti de ces mois passés à ingurgiter des métaux
divers sous forme de dosettes qui n’avaient d’homéopathique que leur apparence.
Absolument rien hormis une jeunesse conservée inhabituellement longtemps, qui
faisait qu’à plus de soixante-dix ans au moment de « la fin », il en
paraissait toujours quarante : un bel homme dans la force de l’âge, d’une
endurance et d’une résilience hors-normes – qui ne l’intriguaient pas vraiment
car il avait toujours été d’une constitution puissante, même avant son
traitement – ce qui lui avait été bien utile pour les nombreux déplacements de
foules visant à fuir les zones contaminées, durant lesquelles il avait dû venir
en aide non-seulement à ses proches mais aussi à de nombreux autres rescapés.
N’ayant remarqué rien d’autre que cette inhabituelle lenteur à vieillir,
lorsque la catastrophe s’était produite, Wayland s’était attendu à mourir.
Non, cela n’avait pas été — malgré les nombreux conflits qui souillaient
le globe — la bombe atomique, ni aucune autre arme de destruction massive
pensée par les humains, ni une catastrophe climatique, pas même la fameuse
cellule zombie qui avait pourtant réduit la presque totalité de l’humanité à
l’état de masse mort-vivante.
Simplement, un beau matin de janvier 2017, alors que l’épidémie zombie
qui s’étendait depuis plus de soixante ans avait, malgré les efforts déployés
pour l’endiguer, contaminé plus de neuf dixièmes du globe, la surface de la
terre s’était fendue le long du 102ème méridien ouest, et
simultanément selon la ligne de l’équateur, entre celui-ci et les deux
tropiques, à l’endroit où s’opérait habituellement la convergence
inter-tropicale. Il y avait eu une grosse explosion lumineuse, un souffle
inexpliqué, déclenché par quatre sources distinctes placées plus ou moins le
long des lignes et qu’on n’avait pas eu le temps d’identifier. Et ainsi, de
haut en bas, des secousses sismiques monstrueuses et des déferlements de lave
et de magma avaient ébranlé la planète, vaporisant les océans et fissurant les
terres, ne laissant même pas à ses habitants quels qu’ils soient le temps de
réaliser ce qui se passait. Au beau milieu de la catastrophe, Wayland avec les
quelques rares centaines d’autres victimes qui n’avaient pas encore été
contaminées par les zombies avait été englouti dans une faille et s’était cru
mort… jusqu’à son réveil.
à suivre...
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